Jeunesse (Le Printemps)
ven. 09 févr.
|LE COLISÉE CARCASSONNE
3h35 min Film sorti le 3 janvier 2024 Documentaire chinois De Wang Bing
Heure et lieu
09 févr. 2024, 14:00 – 23 févr. 2024, 14:00
LE COLISÉE CARCASSONNE
À propos de l'événement
SYNOPSIS
Zhili, à 150 km de Shanghai. Dans cette cité dédiée à la confection textile, les jeunes affluent de toutes les régions rurales traversées par le fleuve Yangtze. Ils ont 20 ans, partagent les dortoirs, mangent dans les coursives. Ils travaillent sans relâche pour pouvoir un jour élever un enfant, s’acheter une maison ou monter leur propre atelier. Entre eux, les amitiés et les liaisons amoureuses se nouent et se dénouent au gré des saisons, des faillites et des pressions familiales.
CRITIQUES
Les Inrocks
Ce documentaire, premier volet d’une trilogie, fait le portrait d’une jeunesse ouvrière chinoise exploitée mais malgré tout débordante de joie de vivre et d’énergie .Jeunesse (Le Printemps) de Wang Bing était présenté en sélection officielle au dernier Festival de Cannes, marquant au passage le retour du documentaire en compétition. Depuis deux décennies maintenant, le cinéaste chinois, 55 ans, filme son pays avec une obstination, un talent et un esprit de synthèse admirables. Il a filmé la dislocation de la Chine communiste industrielle dans À l’ouest des rails (2002), son chef-d’œuvre…
Cahiers du Cinéma
Si Wang est devenu un cinéaste essentiel, c’est en maintenant une approche étrangère à l’emphase et à la bouffissure. Art termite, tel que le critique Manny Farber l’avait opposé à celui des éléphants blancs : n’érigeant ni cathédrale, ni tombeau, Wang Bing creuse dans des espaces inhumains (camp, asile, usine, désert) des tanières où vivre malgré tout. Premier volet d’une trilogie sur la jeunesse ouvrière dont le tournage s’est étalé entre 2014 et 2019. Après Ta’ang et Argent amer, lui aussi consacré aux petites mains du textile, Wang Bing continue donc d’accompagner le peuple des exilés intérieurs.
Le Monde
Au rang des métaphores qui collent bien au cinéma, l’une des plus opérantes serait le métier à tisser, griffe mécanique capable de créer des étoffes, comme le cinéaste assemble des écheveaux de réalité, traversés par le fil d’une idée. On soupçonne l’analogie d’avoir caressé l’esprit de Wang Bing, devant les hordes de machines à coudre parmi lesquelles il a promené sa caméra, et leurs ronronnements furieux remplissant les ateliers de confection de la ville textile de Zhili, à 150 kilomètres de Shanghaï.Le documentariste chinois installé à Paris a infiltré ces manufactures pendant cinq ans, entre 2014 et 2019, avant que la pandémie de Covid-19 n’y mette un coup d’arrêt. Après avoir chroniqué le déclin d’un vaste ensemble industriel (A l’ouest des rails, 2003), rappelé les dérives concentrationnaires de la Révolution culturelle (Le Fossé, 2010 ; Les Ames mortes, 2018), filmé l’extraction du charbon (L’Argent du charbon, 2009) ou l’hôpital psychiatrique (A la folie, 2013), l’infatigable réalisateur poursuit ici son tableau dissident de la Chine contemporaine, opposant chaque fois un contrechamp à l’« économie socialiste de marché ». Si Wang Bing avait déjà filmé les ateliers textiles de Huzhou dans Argent amer (2016), Jeunesse (Le Printemps) s’impose d’emblée comme son film le plus rayonnant, porté par l’énergie vitale des très jeunes gens qui l’habitent. Ils ont la vingtaine, parfois même un peu moins, affluent en masse des provinces avoisinantes et constituent la main-d’œuvre corvéable des fabriques foisonnantes de Zhili, qui ne tournent qu’une partie de l’année (sept mois sur douze), quand le climat l’autorise. Le temps étant compté, et le salaire versé à la pièce, les mécaniciens turbinent à plein régime, assemblent des vêtements pour enfants bon marché – anoraks à capuche, shorts fluo et jupes mousseline – destinés au marché intérieur, à des horaires extensifs qui courent de tôt le matin à tard le soir. Wang Bing fait la tournée des enseignes, petites entreprises familiales qui fonctionnent toutes sur le même modèle. A mesure, s’esquisse un aperçu de cette ville-atelier où les fabriques se succèdent à longueur de rue, où il semble n’y avoir rien en dehors de la confection. Chaque atelier est muni à l’étage de ses propres dortoirs spartiates (faits de lits de camp superposés), laissant à la main-d’œuvre la possibilité de passer directement de son poste de travail à sa chambre, et inversement – sauf à sortir pour aller chercher à manger ou passer quelques nuits au cybercafé. On y vit comme en « colo », entre les piles et les chutes d’étoffe, patchwork infernal de matières et de déchets. La promiscuité aidant, les jeunes pensionnaires se chambrent et se chamaillent, lambinent seul ou ensemble, les visages rétroéclairés par la lumière des smartphones, de fait unique fenêtre sur un dehors. Et puis, évidemment, ça drague à tout va, les premières scènes étant dévolues aux problèmes concrets qui en découlent : grossesses intempestives, avortements, affaires de mésalliance, parents affolés, etc. Wang Bing consacre, en outre, de splendides passages aux amours adolescentes, à ce qui se joue entre garçons et filles, baratin d’usage et discussions sérieuses, ou comment l’on se conte fleurette en cousant côte à côte. Matière de bagatelle à laquelle le cinéaste ne nous avait pas habitués, et qui marque dans son œuvre une bouffée de légèreté, d’évanescence. Le documentaire agit ainsi sur deux niveaux. Le premier, bien connu, est celui de la condition ouvrière et de l’aliénation au travail : les silhouettes pliées sur les machines, les cadences infernales, les gestes enchaînés, la paye toujours insuffisante, les contingents de recrues corvéables, etc. Le second rassemble le portrait spécifique de la génération qui se constitue dans ces ateliers. Face au travail, la caméra enregistre aussi ce qui résiste au travail : les interstices de liberté ou de joie que garçons et filles ne cessent de s’inventer au cœur du système. Par-dessus le bourdonnement des machines, la techno qui résonne encore plus fort, ou les romances pop entonnées en chœur. Face aux gestes rationalisés, exécutés à haute vitesse (prenant parfois de court la caméra), les paroles badines ou vagabondes, les mots dépensés sans compter. Wang Bing opère par blocs de réalité, bruts de décoffrage, son approche se mesurant au temps passé parmi ses personnages. Filmeur à la présence insistante qui ne cherche jamais à se cacher mais fonce tête baissée dans la situation, arrache les prises aux circonstances. Sa principale force est d’être là, toujours au bon endroit, comme lorsqu’une échauffourée éclate entre petits coqs d’atelier, qui, d’un instant à l’autre, s’envoient leurs ciseaux au visage. Ou lors de ces passages sidérants où les ouvriers groupés se liguent pour interpeller le patron, parfois à peine plus vieux qu’eux, et négocier de modestes – voire microscopiques – augmentations de salaire. Jeunesse s’aventure alors au cœur des rapports de production, ce jeu de dupes de la plus-value, inchangé depuis Marx, et qui prend ici la forme d’un effarant dialogue de sourds – le patron s’ingéniant à déshabiller Pierre pour habiller Paul. Le film se déployant sur 215 minutes n’a rien d’un monolithe ou d’une plongée en apnée. Au contraire, ce qui sidère ici, c’est à quel point la force politique résidant dans le simple fait de filmer le travail s’articule à un riche éventail de portraits humains, jeunes pousses exhalant des bouffées de rêves et de sentiments. Jeunesse (Le Printemps) réagence ainsi en termes d’élans et de promesses quelque chose du chiasme forgé par Godard dans son film Passion (1982) : « Aimer à travailler, travailler à aimer. »
Horaires : vendredi 9 et 23 février à 14h00, samedi 17 février à 14h.
Bande annonce => Jeunesse